Sunderland til I die : quand le management bienveillant est dans l’impasse

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Ceux qui suivent régulièrement mes publications connaissent mon goût prononcé pour les métaphores « footballistiques » appliquées au management et à l’entreprise (voir la liste des articles plus bas). Aussi quand j’ai regardé la série sur Netflix « Sunderland til I die » je m’attendais à une fiction dans la lignée du dessin animé « Olive & Tom » que mes enfants adoraient où à la fin leur équipe préférée gagnait toujours. Mais que nenni ! – comme dirait une cousine bretonne – cette série est une véritable pépite pour tous les professeurs en management, les organisateurs ou les coachs professionnels.

Les personnes, qui n’ont pas d’abonnement à Netflix ou qui n’ont jamais compris pourquoi 11 adultes en short courant derrière un ballon avait un quelconque intérêt, ces personnes pourront se contenter de regarder le court trailer disponible sur le net (pour info l’épisode 2 est curieusement disponible sur dailymotion). Pour les autres, je ne peux que chaleureusement les engager à regarder cette série mais après la lecture de ce billet 🙂

Ce que raconte l’histoire

Sunderland AFC est un club de football créé en 1879 au passé prestigieux et chaotique parsemé d’exploits inédits et de passages à vide. Nous sommes justement au début de la saison 2017/2018 de Division 2 de football où le club vient juste d’être relégué depuis la Division 1.

Dirigeants, joueurs, supporters sont enthousiastes et plein d’espoir dans cette ville portuaire du nord-est de l’Angleterre, marquée par la crise industrielle, où l’attachement au club de football est quasi religieux. L’objectif du projet est bien sûr la remontée immédiate mais rien ne se passe comme prévu. Pire, le club finit par être relégué une nouvelle fois en Division 3.

Filmé comme un documentaire et monté comme une fiction, « Sunderland ti I die » nous plonge dans le quotidien d’un club de football professionnel et révèle tout ce qui n’est jamais montré par les médias : les rituels des entraînements, le rôle de l’administration et de la logistique, la relation avec les supporters, etc… (au passage, pour les footeux, les images des matchs sont d’une pure beauté et les installations et le stade de Sunderland sont impressionnants).

Un management bienveillant…

Dès le premier épisode, la bienveillance apparait comme une valeur cardinale. Bienveillance du club vis à vis de ses joueurs et de ses supporters. Bienveillance des supporters qui croient dur comme fer à la réussite du projet. Bienveillance du Directeur du Club (Martin Bain) vis à vis de l’entraîneur (Simon Grayson) qui vient d’arriver. Bienveillance de l’entraîneur vis à vis de ses joueurs qu’il n’a pas choisi. Seul bémol, les médias restent circonspects dans l’attente des premiers résultats.

Martin Bain, élégant et sportif, d’un flegme très britannique, est un « exécutif » qui transpire la compétence et le professionnalisme. Il est très intéressant de le suivre pendant toute la série car malgré les revers de son équipe, il reste fidèle à ses principes d’écoute, de respect du travail des autres, de solidarité avec les joueurs et le personnel. Il prend les décisions qui s’imposent et surtout il assume ses responsabilités. Pourtant il est la première victime de l’injonction contradictoire de son Président, Ellis Short, à savoir réussir le projet sportif sans nouveaux investissements financiers pour améliorer l’effectif. La transformation physique de Martin Bain est impressionnante : rayonnant au début, il finit les traits tirés et fatigués. Il n’a techniquement pas grand chose à se reprocher. Il agit avec courage et responsabilité dans la la gestion de crise ou dans la relation avec les supporters et la presse. Il fait confiance aux équipes mais ça ne suffit pas. Il échoue et finalement est remercié après avoir nettoyé la situation du club.

Le profil des entraîneurs qui vont se succéder est dans la lignée des coachs bienveillants qui défendent leurs joueurs contre vents et marées. Le premier, Simon Grayson, pour qui ce poste de Sunderland est un véritable challenge personnel et une promotion en regard de son parcours mais on sent rapidement qu’il n’a pas de charisme suffisant et en plus il lui manque une qualité indispensable dans ce business : la chance sur le terrain. Il est remercié après seulement 4 mois d’exercice. Le second entraîneur, Chris Coleman, est le profil même du sauveur des situations désespérées. Auréolé de son parcours exceptionnel aux commandes de l’équipe du Pays de Galles, ses compétences techniques combinées à ses qualités humaines en font le candidat idéal et compatible pour Martin Bain. Sa plus grande compétence et son charisme supérieur permettent de faire illusion mais le mal étant plus profond il ne pourra redresser la situation.

… le personnel du club engagé …

Que ce soit l’administration, les services généraux ou le personnel chargé de la cuisine, tout le monde fait bloc derrière son équipe. Le moment où tout le monde vient aider pour déneiger la pelouse du stade avec juste quelques pelles afin que le match ait lieu, est un moment de grande solidarité de toutes ses personnes qui donneraient un rein ou un poumon pour que leur équipe gagne le prochain match.

Il est intéressant de suivre la responsable de la communication et de la relation avec les joueurs. Toujours dans une « positive attitude » en public mais des images volées à la dérobée montre aussi qu’elle est marquée par une grande inquiétude. Engagé ne veut pas dire manquer de lucidité.

Le couple du Chef de la cuisine et de l’assistante sont aussi intéressant à observer. Véritable cheville ouvrière du bien-être des joueurs qu’ils aiment comme leurs enfants, ils souffrent dans leur chaire chaque revers de l’équipe et pourtant pas de remarques déplaisantes aux joueurs et toujours la volonté de créer un climat positif. Ils seront les derniers à croire à l’exploit pour sortir le club de l’impasse.

Un collaborateur interrogé résume bien l’état d’esprit : « Dans une entreprise, il y a des gens pour prendre des décisions et d’autres pour faire avec. » Pourtant cette mobilisation et cette discipline ne sont pas récompensés puisque l’avenir des jobs est incertain pour tout le monde après l’échec du projet.

… mais des joueurs désengagés …

Dans une entreprise, la réussite du projet dépend de la mobilisation des équipes support (DRH, Services généraux, Finances, etc…). Mais si cette mobilisation est indispensable, il n’en reste pas moins incontournable que les personnes en charge du « core business » soient efficaces. Si dans une entreprise, il s’agit principalement des commerciaux et de la production, dans un club de football il s’agit des joueurs.

Dans la série, le groupe de joueurs est l’archétype du groupe de salariés désengagés. Ils ne sont pas nuisibles – sauf peut-être le joueur très bien payé qui ne joue pas et ne fait rien pour changer de situation, manifestement satisfait d’être au placard – non ils sont très professionnels, pensent donner le meilleurs d’eux-mêmes…bref ils font le jobs sans zèle et sans altruisme. Le contraste est d’ailleurs saisissant entre leur attitude assez sereine et celle très énervée des supporters qui semblent plus lucides. Les joueurs sont confortés dans leur position par le discours toujours bienveillant du coach et du directeur. Pourtant un joueur interviewé s’étonne quand même que le climat reste bon. Il demanderait presque, comme un enfant, une bonne fessée salvatrice qui permettrait de lancer la révolte du groupe. Cette révolte ne viendra jamais de l’intérieur de ce groupe…

…un sponsor défaillant…

Ellis Short, richissime homme d’affaire, est le Président et le propriétaire du club depuis 10 ans. Dans mon billet « Votre projet sent la fumée ? Tester le retour aux fondamentaux », j’ai expliqué l’importance du sponsor dans la réussite d’un projet.

Concernant Ellis Short, son absence est étonnante. Nous ne le voyons qu’à la fin de la série, quand tout est joué, pour organiser la cession du club. Il n’aide pas financièrement, notamment pendant le mercato d’hiver qui était la dernière opportunité pour renforcer l’équipe, il ne se montre pas au stade, il ne vient pas au contact des joueurs, du personnel du club ou des supporters. L’abandon est total et annonciateur de la tragédie qui se passe dans le club. Quand le sponsor est défaillant, la réussite d’un projet est impossible.

…un échec pour mieux rebondir

« Sunderland til i die » pourrait être traduit par « Chronique d’un échec assuré ». Heureusement, le football fonctionne au rythme des saisons, et chaque année il est possible de tout effacer et de recommencer. Ce n’est bien souvent pas le cas en entreprise.

Après l’échec du projet de remontée qui s’est même transformé en scénario le pire, la descente, l’épilogue assez classique dans cette situation est la reprise du club par de nouveaux propriétaires et une nouvelle équipe de Direction qui va marquer sa volonté de prise en main rapide pour impulser un nouvel état d’esprit. Suivent logiquement le limogeage de l’entraîneur (au passage une séquence formidable avec la femme de Chris Coleman qui souligne l’importance du support de la famille quand ça ne se passe pas bien au bureau) et le départ du directeur après avoir assuré le transfert des dossiers et le nettoyage de la situation.

Seul le personnel reste dans l’expectative sur son avenir. Mais il reste digne car le principal est que le club rebondisse.

La bienveillance c’est bien, la complicité c’est mieux

J’ai trouvé que cette histoire est une illustration du propos que j’avais initié dans mon billet « Qu’est-ce que vous nagez bien Chef ! : de la bienveillance à la complicité ». Le management bienveillant c’est bien mais ce n’est pas suffisant pour réussir. Il faut tisser ces liens immatériels entre les personnes qui conduisent au plaisir de vivre ensemble et de se dépasser pour ses collègues et le projet. Martin Bain est sympathique avec tout le monde mais il garde une retenue qui ne lui permet pas d’être en total symbiose avec ses entraîneurs. Simon Grayson semble trop transparent. Seul Chris Coleman tente d’apporter ce supplément de connivence (voir le clin d’œil lancé à un jeune stadier avant un match capital) mais il manque de temps pour arriver à redresser la situation humaine et sportive.

Finalement la question que je me pose est « le management bienveillant est-il adapté dans une situation de crise ? »

N’hésitez pas à réagir, à commenter ce billet ou donner votre propre lecture de cette série.

Métaphores footballistiques

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Crédit photo : safc.com

© Ecrit par Jean Méance en mai 2019

4 commentaires

  1. Si le joueur interviewé s’étonne de la persistance d’un bon climat, ce n’est peut-être pas pour espérer recevoir une « bonne fessée salvatrice ». C’est peut-être que son expérience lui dit que normalement ce qui se passe là n’est pas sensé exister. Dans la plupart des entreprises, il y aurait déjà un moment que des boucs émissaires auraient été trouvés, que de bonnes chasses aux sorcières auraient vu le jour qui n’auraient rien arrangé mais bien au contraire auraient précipité la chute dans une de ces magnifiques boucles de violence où chacun défend son poste en coulant son voisin. Il ne s’étonnerait pas alors seulement de la pérennité de ce bon climat mais de celle du club en général. Ce club ne fonctionne pas et ce management bienveillant est bien dans l’impasse mais il a conservé la vie de l’équipe. On ne voit pas ça tous les jours !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Fabien pour le commentaire – en entreprise les choses se passent parfois comme tu le décris mais c’est souvent plus polissé même si beaucoup ne sont pas dupes 😁 pour en revenir à mon propos la chasse aux sorcières existe aussi dans les clubs de foot mais comme disait Bernard tapie : il est plus facile de virer l’entraîneur qu’un groupe de joueurs 😁

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