Ubériseurs ubérisés et gilets jaunes

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La République en Marche était le mouvement qui voulait renverser la table du monde politique. LAREM allait « ubériser » la vie politique, changer les codes. Alexandre Malafaye l’écrivait en juin 2017 « En Marche ! ou l’ubérisation de la vie politique ? » Luc Carvounas (PS) le dénonçait sur la chaîne LCP en octobre 2016 « L’UBÉRISATION POLITIQUE, ÇA NE MARCHE PAS ! » et force est de reconnaître que les partis politiques traditionnels en ont payé les frais aux élections présidentielles et législatives. Mais qu’à fait LAREM une fois au pouvoir ? Reprendre les vieilles recettes ! Installer un parti sur les cendres des partis précédents, mettre en place une gouvernance et une discipline parlementaire pour aller vite dans les réformes avec le risque, avéré depuis, que chaque député de LAREM perde un peu son âme sur l’autel de la solidarité au parti. Ubériser c’est justement mettre en place un nouveau modèle plus profitable à tout le monde en s’appuyant sur la proximité apportée notamment par les outils digitaux. LAREM, probablement aveuglée par les privilèges des ors de la Vème République, a repris les anciennes formules du pouvoir après les avoir dénoncées pendant des mois, y compris la touche légèrement sulfureuse de scandale, qui fait partie de la panoplie, avec l’affaire Benalla. Incroyable quand on y pense que le parti, chantre de la Start-up Nation, du digital et de la modernité, soit mis en difficulté, avec les réseaux sociaux, par l’objet même de ses propres convictions.

Et si le mouvement des gilets jaunes était appelé à ne jamais disparaître ? Je ne parle pas de la violence, levier de toutes les manipulations manichéennes où les mauvais sont toujours dans le camp d’en face, violence qui doit être condamnée sans relâche. Non, je ne parle pas de cela mais je parle du modèle d’expression apporté par le mouvement des gilets jaunes qui traduit une nouvelle façon de faire de la politique.

Ce nouveau modèle d’expression n’est ni collectif, ni individuel. Il n’est porté par aucun appareil politique ou corps intermédiaire. Il s’affranchit de la méthode exaspérante des éléments de langage qui altère la qualité des débats en dénaturant les convictions. Les réseaux sociaux donnent un écho sans précédent à des points de vue individuels pour peu qu’ils touchent par leur authenticité la vie d’une multitude de personnes. Ce nouveau modèle d’expression est collaboratif c’est à dire que chacun dans un monde non hiérarchisé s’autorise à émettre son idée.

Le grand débat qui commence cette semaine est l’opportunité de mettre en oeuvre ce modèle d’expression collaboratif. Ce sera peut-être l’occasion de vraiment ubériser la vie politique. La mécanique actuelle permet à un groupe d’individus bien organisé, très minoritaire rapporté à 67 millions de français, de proposer un projet qui, par le jeu démocratique, devient le programme légitime de gouvernement. Par construction, les conséquences des décisions d’une minorité sont supportées par la majorité des administrés que nous sommes. Tant que le contexte économique est porteur, le climat sécuritaire apaisé et la cohérence sociale équilibrée, tout va bien. Le pouvoir en place a les clés du camion et tout le monde vaque à ses occupations sans trop s’occuper de la destination du voyage. Et d’ailleurs, avant l’ère de l’internet, toute personne voulant avoir une influence sur les affaires de la cité avait peu de moyens de le faire à part s’enrôler dans un parti politique ou sortir d’une grande école de l’administration.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui et les moyens digitaux, à commencer par les réseaux sociaux, permettent d’envisager des moyens collaboratifs pour mettre sous contrôle le chauffeur du camion. Bien sûr, sous l’effet des paradoxes et des contradiction inhérentes à l’expression de points de vue variés, tirés par des enjeux contraires, il faut éviter que le camion zigzag et finisse dans le fossé. Pour éviter les blocages et l’empêchement de l’action, la notion de majorité devra rester incontournable mais la méthode pour compter cette majorité devra être revue pour s’assurer qu’il s’agit bien du plus grand nombre. De plus, la majorité n’est pas forcément clairvoyante et perspicace, la mesure de l’efficacité des actions décidées doit être permanente. Décider une connerie est une erreur, ne pas le reconnaître est une faute.

Dans ce nouveau modèle d’expression, le rôle des politiques devra se transformer. Il devra se professionnaliser avec un salaire en cohérence avec ses responsabilités qui peut d’ailleurs être important comme dans les sociétés. A l’instar des managers qui gèrent la mode de l’aplatissement des hiérarchies dans les entreprises libérées, les hommes et femmes politiques devront être en mesure, se nourrissant de l’expression de leurs administrés, de la traduire en action politique cohérente. La nature du pouvoir, moins descendant, va changer, nul doute que le profil de nos hommes et femmes politiques à venir évoluera en conséquence.

La mise en place de cette expression collaborative, héritée des gilets jaunes, c’est bien là tout l’enjeu du fonctionnement de ce grand débat dans les semaines à venir. Réussir ce fonctionnement permettra de parler, enfin, des sujets de fond et éviter l’effet garage à vélo de mon billet précédent. Ce grand débat je souhaite y participer. A l’heure où j’écris je n’ai toujours rien compris à son organisation mais je ne désespère pas !

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Crédit photo : photo du film de Louis Lumière « L’arroseur arrosé »

© Ecrit par Jean Méance en janvier 2019

2 commentaires

  1. très bon billet ; l’uberisation de la vie politique dans la recherche des idées et leur maturation ; j’y crois. Dans leur choix et leur mise en oeuvre ; je n’y crois pas trop

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Alain – je pense en effet qu’il faut l’expression de tous les points de vue mais après ne pouvant tout faire il faut choisir et c’est là que le processus démocratique est probablement le moins mauvais à condition qu’il soit joué par la grande majorité des populations. Ensuite il faut un contre-pouvoir fort pour mesurer l’efficacité et éviter les déapages… Je te rejoins qu’on ne peut pas dans l’exécution d’un programme demander l’avis à tout le monde continuellement. ça on sait que c’est la meilleure façon de ne rien faire 🙂

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