En janvier 2023, 77 % des français sont satisfaits de leur travail d’après l’Institut Montaigne qui relevait pourtant à l’automne 2022 que 49 % des français trouvent qu’il faudrait abaisser l’âge actuel (62 ans ) de la retraite ! En même temps TF1 reprend, le 30 janvier 2023, le sondage du site talent.com qui fait apparaître que 44% des salariés veulent moins s’impliquer dans leur travail.



Le débat sur la réforme du régime des retraites agit comme un coup de pied dans la fourmilière du monde du travail : l’emploi des séniors, les carrières longues, la pénibilité, le télétravail, l’inégalité homme-femme etc… Autant d’informations utiles, contradictoires, controversées bref le débat sur les retraites éclaire aussi sur l’état du « monde du travail » et en même temps ce débat nous égare et nous déchire entre ceux qui se plaisent à leur travail et qui n’ont pas de problème à ajouter 2 ans de plus à leur carrière et qui se qualifient eux-mêmes de « responsables » en s’inquiétant de l’équilibre financier du régime de retraites, et ceux effrayés par la perspective d’un âge de départ en retraite à 64 ans et 43 années et plus de cotisations et qui seraient donc « inconséquents » quant à la pérennité du régime de retraite par répartition.
C’est probablement schématique de séparer la population active sur ce principe mais j’ai été interpelé par le commentaire suivant sur le résultat sur la satisfaction au travail : « Les travailleurs les plus satisfaits par leur travail sont le plus souvent : les chefs d’entreprise, les artisans et les professions libérales ».
L’écart grandissant entre son métier qu’on apprécie et son travail qu’on rejette, n’est-il pas aussi à l’origine du rejet assez majoritaire (plus de 70 %) de cette réforme des retraites ?
« J’aime mon métier »
Si les plus « chanceux » ont une vocation précoce, il est parfois tardif d’identifier un métier qui s’il n’est pas le métier de ses rêves permet quand même à chacun de trouver sa voie et son employabilité dans un domaine et par conséquent de s’intéresser un minimum aux compétences à acquérir et de se former à un métier où se réalisent talents et compétences.
Ce métier (boulanger, informaticien, maçon, comptable, médecin…) a aussi l’avantage d’avoir une valeur marchande sur le marché du travail et d’apporter une reconnaissance sociale.
Formés à ce métier, vous arrivez plein de projets. Votre enthousiasme et votre créativité sont purs et vierges : prêts à l’emploi !
Il va falloir maintenant réaliser ce métier dans un…travail ! Et c’est le début des ennuis pour beaucoup de personnes.
« Je n’aime pas mon travail »
Par définition, le travail est l’ensemble des activités organisées en vue de produire ce qui est utile !
Il ne suffit pas d’aimer faire du pain, il faut savoir le vendre. Il ne suffit pas d’aimer la programmation informatique, il faut savoir livrer une application utilisée et qui rend des services. Il ne suffit pas d’aimer la maçonnerie, il faut construire des maisons…
J’arrête là les exemples, car je crois que vous avez compris que pour rendre un métier utile c’est-à-dire le transformer en « travail », ce qui vaudra au passage rémunération, il faut inscrire l’exercice de son métier dans un ensemble de contraintes comme les procédures et les processus de l’entreprise, la gestion souvent hiérarchique des équipes, les délais de livraison souvent très (trop ?) courts, la satisfaction des clients etc…
Tout cela dans un contexte où il faut savoir vivre et composer avec des collègues, où il faut tenir compte de la politique interne qui oscille entre stratégie d’entreprise qui est légitime et ambitions personnelles qui le sont moins, où les injonctions contradictoires sont légions, où la transversalité et la complexité des entreprises et des processus imposent de savoir négocier pour qu’avancent nos propres sujets car les priorités de chacun ne sont évidemment pas toujours compatibles et dans un contexte, enfin, où la reconnaissance est souvent insuffisante surtout en France où la culture est de voir plutôt le verre à demi-vide qu’à demi-plein ; sans parler des écarts de salaires entre les strates hiérarchiques et les différents métiers.
Et ajoutons, pour être complet sur l’écosystème, dans lequel chacun travaille : l’exigence des clients, la concurrence, l’innovation, le réglementaire, les partenaires économiques, etc… Autant de contraintes externes qui s’ajoutent au quotidien de toutes les entreprises.
La transformation de son métier dans un travail a pour conséquences d’ajouter aux activités propres au métier, des activités complémentaires comme les réunions, les mails à répondre, les négociations parfois difficiles, les notes de procédures, les reporting, le management des ressources humaines et financières, sans parler des discussions informelles nécessaires pour exercer son influence dans l’entreprise et arriver à convaincre.
Quand les activités complémentaires précédentes prennent le pas sur le reste, elles nous éloignent de notre métier de base, font souvent perdre le sens de son job et finissent par gérer du mauvais stress.
On comprend mieux pourquoi artisans et professions libérales sont la catégorie la plus satisfaite de son travail car l’impact des activités complémentaires sur le cœur de métier est réduit grâce à la relation quasi directe entre le consommateur et le producteur qui « vend son métier » et pas comment il le réalise.
Quand mon travail devient un métier
L’Homme a une caractéristique qui explique sûrement sa survie (au moins pour l’instant) : sa capacité d’adaptation. Si certains d’entre nous s’époumonent à trouver du sens à leur travail, d’autres semblent s’épanouir dans le milieu professionnel.
J’ai observé que ces personnes ont transformé en métier des activités complémentaires comme la politique ou, dans sa version plus noble, la stratégie, la communication, la coordination ou le management.
Les grandes écoles justement forment des bataillons d’étudiants au leadership et au management. Ces personnes n’apprennent justement pas un métier particulier mais bien à organiser le travail des différents métiers dont l’entreprise ou l’administration ont besoin.
Evidemment ceci n’est pas l’apanage des diplômés de Grandes Ecoles. J’ai croisé de nombreuses personnes qui pivotaient de leur métier vers des activités de management. Je dirai même que la structure hiérarchique qui ne disparait pas si vite qu’on le croirait, et les valeurs de reconnaissance dans l’entreprise pousse, pour faire carrière, à abandonner son métier pour devenir un manager !
L’écart grandissant entre métier et travail est-il une fatalité ?
La société civile évolue, les entreprises aussi ! Le modèle hiérarchique est de moins en moins reconnu par les nouvelles générations. Internet a brisé l’adage que « le savoir était le pouvoir ». La Responsabilité Sociétale et Environnementale des entreprises remet le sens de l’objet social et donc le sens du travail au cœur des priorités.
Le rapport au travail change, le COVID a imposé le télétravail et le télétravail redistribue l’organisation et bouscule les process dans l’entreprise. Les concepts d’Entreprise Libérée ou de management bienveillant fleurissent depuis quelques années. Il suffit d’observer les partages sur LinkedIn pour constater que ce sont bien ces tendances qui sont mises en valeur.
Ces signes sont encourageants pour affirmer que le règne de la réunionite, de la politique qui prime sur le sens, des contrôles idiots qui entravent et des reporting est contesté mais il faut reconnaitre que cela va demander beaucoup de temps et que la génération de start-uppeur d’aujourd’hui, qui devra porter cette transformation, n’est pas encore à la manœuvre dans les grandes entreprises et des grandes administrations.
Quand ce temps viendra, peut-être alors le travail se recentrera sur le métier ! Je le souhaite en tout cas.
Mentions
Si vous avez aimé faites-le savoir en partageant ce billet. N’hésitez pas également à livrer vos commentaires et vos expériences.
Si vous voulez accéder à mes autres billets c’est ici.
Si vous ne voulez pas manquer les prochains articles : demandez à être enregistré à mon blog.
Crédit photo : photo site Fotomelia
© Ecrit par Jean Méance en février 2023