Lettre ouverte de Jason, 35 ans, profession API

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Bonjour

Je m’appelle Jason. J’ai 35 ans. Je suis API dans un SI bancaire. Rendre service est une vocation familiale qui se transmet depuis plusieurs générations.

Mon arrière-grand-père était routine système chez IBM. Il était marié à la touche Retour Chariot d’une machine à écrire mais ça c’est une autre histoire. Ses copains l’appelaient « Super SVC ». Bien calé dans le nid douillet de son noyau système, il attendait tranquilos une interruption pour fournir un service de base. A cette époque le bug sentait le moustique grillé sur les circuits. Les grèves des équipes du hardware étaient fréquentes. Il a coulé une vie heureuse même si le rythme de travail eût accéléré sous le double effet de la fiabilisation des machines et de la course à la vitesse des unités centrales.

Mon grand-père était sous-programme COBOL chez un éditeur de logiciel comptable. Il devait communiquer le solde des comptes. A une époque où les chaînes comptables étaient souvent écrites en assembleur, il faisait office de petit-jeune moderne. Les anciens lui disaient : «Quel besoin as-tu de dire où est ta Linkage Section pour éviter qu’on te marche sur ton code ? ». Il ne comprenait pas toujours leur humour d’ingénieur au collier de barbe. Mais il s’en accommodait car au début le rythme était peinard. Il devait juste attendre que ses collègues de la nuit finissent leur travail. Puis au premier appel, il allait chercher la bonne information à la VSAM association. Il la gardait par devers lui et passait la journée à boire des mojitos avec les autres sous-programmes et à attendre qu’on l’appelle pour communiquer cette information qu’il tenait sous le coude. Malheureusement la situation s’est dégradée. Des fous furieux ont décidé de tenir les soldes en temps réel ! Fini les mojitos rafraîchis par la climatisation de la salle machine. Fini la vie à la cool avec les copains. Toujours sur le trot pour aller chercher ces p… de solde. Et la VSAM Association, de plus en plus tatillonne depuis qu’une réorganisation l’avait mise sous la coupe de la Direction des SGBD, demandait de connaitre à l’avance par quels index de plus en plus complexes il fallait passer ! Sans compter que les moniteurs transactionnels, nouvelles stars de l’IT, ne se gênaient pas pour vous virer de la mémoire. « Pour faire de la place » qu’ils disaient. Peut-être mais en attendant, mon grand-père devait faire le chemin de la bibliothèque des programmes à la mémoire centrale des centaines de fois par jour, pour finir par se faire accuser de traîner en route et de ralentir tout le monde. Le jeune enthousiaste était devenu un vieux cheval fatigué.

Ma mère avait observé les difficultés de fin de carrière de son père. Aussi a-t-elle décidé d’être du côté de ceux qui font travailler les sous-programmes ! Elle est devenue PROXY chez DCE Environment. A l’époque, il était très « in » de plaisanter en disant « Je suis Stub mais je ne fais pas dans la bière ». A l’heure du balbutiement du client serveur, le job était très novateur, très expérimental, une aventure nouvelle et enrichissante à chaque prototype. Puis est arrivée la grande vague de l’internet et ma mère, qui jusqu’ici appelait des sous-programmes dans un domaine plutôt local, a commencé à faire le tour du monde sur des réseaux ip de plus en plus interconnectés. Pourquoi ? Pour chercher la bonne chaussette, oui vous avez bien lu « chaussette » ! C’est comme cela qu’on appelle l’adresse pour localiser un sous-programme dans ce monde-là ! Certains jours elle faisait plus de 100 fois le tour du monde, quand elle ne tombait pas dans une boucle ip qui la faisait rentrer à point d’heure à la maison. Et en plus, elle a dû comprendre de plus en plus de langages exotiques (C++, JAVA, Python, SmallTalk…).

Ma tante qui est très bavarde est traductrice XML chez W3C. Même si son activité est en perte de vitesse, elle semble heureuse à passer des heures à palabrer sur la bonne sémantique de la donnée…

Mon frère qui veut gagner très vite beaucoup d’argent est webServices chez Google. Il travaille comme un fou en traitant des milliards de clients par semaine. Il tient en pensant à sa future vie sous les cocotiers.

Moi je suis API dans un SI Bancaire. Je suis chargé de vérifier l’existence des coordonnées bancaires d’un client. Au début, le travail était supportable. Mais voilà la mode de l’APIsation du SI. Il a fallu passer chez le médecin plasticien pour remettre un coup de jeune à mes interfaces. De plus, nous avons obligations maintenant de nous syndiquer dans un catalogue si nous voulons être appelés et avoir du travail. Et ce n’est pas tout ! Nous devons, en plus de notre travail, mesurer nous-mêmes nos temps de réponse, combien nous coûtons, nous réparer nous-même ! Ben voyons ! Déjà que de passer à travers toutes les couches du SI, empilées au fil du temps n’est pas une sinécure, s’il faut maintenant être comptable de tout ! Et aujourd’hui il est question de nous faire travailler pour des étrangers qui pourront nous appeler avec la bénédiction de la réglementation DSP2. Des étrangers alors même qu’on nous demande par ailleurs de protéger à fond les données clients. C’est vraiment n’importe quoi…

Alors quand je vois mes enfants s’entraîner pour être des chatbots ou des robots, je m’interroge sur l’avenir de la dynastie dans ce monde de plus en plus digital.

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Crédit photo : sans droit

© Ecrit par Jean Méance et publié sur linkedin en octobre 2017

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