Parmi les formules assénées dans le milieu professionnel, tels des aphorismes incontournables, un propos entendu à la machine à café, il y a quelques années, me revient souvent à l’esprit car j’en ai constaté la pertinence à plusieurs reprises et il mérite une analyse pour mieux en comprendre la portée.
Il s’agit de la formule « Pour conduire un projet, il faut souvent un Chef de Projet pour le commencer, un autre pour le faire et un dernier pour le finir ».
Avant d’entrer dans cette analyse, je me dois d’établir quelques précautions sémantiques car il n’y a pas pire confusion qu’avec les termes « projet » ou « Chef de Projet ». Quel rapport entre le projet d’un bon dîner entre amis et celui d’envoyer une fusée sur la lune ? Quel rapport entre un « one person project » de 200 jours sur un an et un programme pluriannuel de plusieurs centaines de millions ? Si les fondamentaux de la gestion de projet sont les mêmes, les enjeux, la complexité technique, le volet innovation, la gestion des ressources humaines, la méthode projet, la durée de l’effort, la maîtrise de la communication… vont faire appel à des compétences qui sont rarement logées dans un même cerveau.
Le Chef de Projet pour commencer
Nous sommes à l’heure des études d’opportunités, de faisabilité, sur des initiatives plus ou moins stratégiques de l’entreprise exprimées en termes très génériques dont il faut faire l’exégèse. Même si le rationnel économique est appelé à la rescousse avec le calcul de ROI plus ou moins sérieux et étayés, reconnaissons que nous sommes souvent encore à ce stade dans le domaine de la conviction sur laquelle s’appuie une politique d’entreprise.
Dans ce contexte, le (la) Chef de Projet se voit confier un projet où il faut en général éclaircir les enjeux et les objectifs (sans les confondre), dresser une première feuille de route (ou roadmap) forcément encore semée d’embûches. Pour cela, il est indispensable d’embarquer les experts du sujet car il faut rapidement fixer quelques certitudes sur les jalons à passer et les risques principaux à surmonter. Fort de ses éléments (très instables), il (elle) va devoir convaincre, souvent au plus haut niveau de la gouvernance de l’entreprise (comme le Conseil d’Administration), de la validité des hypothèses et des chances de réussite du projet.
Tout cela demande au Chef de Projet une bonne connaissance des enjeux du Métier et un champ lexical business pour être compris des décideurs. Il (elle) est un orateur convaincant pour emporter la décision. Il (elle) supporte le stress inhérent aux instances avec des dirigeants « étoilés ». Il (elle) maîtrise la conception de plusieurs solutions et aide à converger vers la meilleure. Pour cela, il (elle) a l’art d’animer des experts et de s’ouvrir aux idées extérieures.
Une fois la décision prise pour lancer le projet, il (elle) va organiser le projet, la gouvernance et lancer le grand voyage par un kick-off le plus festif possible !
Le Chef de Projet pour faire
Une fois les flonflons du kick-off terminés, le projet, tel un bateau qui sort du port et se retrouve en pleine mer, se trouve face à l’immensité de la tâche et souvent une grande solitude envahie le (la) Chef de Projet. Après quelques temps, le (la) Chef de Projet découvre que certaines hypothèses ne tiennent pas, que l’organisation a des faiblesses, que le staffing n’est pas le bon, que ça va durer longtemps et demander de la patience. Bref, le projet « brinqueballe » et c’est l’entrée en scène du second profil de Chef de Projet.
Dans ce contexte, le (la) Chef de Projet va commencer par remettre au cœur l’ingénierie de projet sur tous les plans : méthode, organisation, gouvernance, gestion des risques. L’époque des PMO et de la rédaction d’un PMP musclé (Plan Management Projet) est arrivée. C’est aussi le moment douloureux de la révisions des plannings et des budgets (en général à la hausse) et la nécessité regrettable de faire des choix car tout ne pourra être fait (à ce propos, notez que les méthodes frugales sont un bon outil). Après cette réorganisation du projet, il ne reste « juste » qu’à le faire !
Tout cela demande avant tout au Chef de Projet une grande résilience à l’effort et une grande maîtrise dans l’art de remettre plusieurs fois l’ouvrage sur l’établi. Véritable chef de bande, il doit se montrer courageux dans les moments de difficultés et de doutes que traverse le projet. La rigueur dans la méthode et l’inflexibilité dans la tenue des jalons sont ses arguments principaux. Il (elle) doit rester transparent sur la situation du projet, communiquer clairement et objectivement sans être alarmiste lors des Comités de Pilotage. Il doit garder une confiance sans faille de son sponsor qui devra le soutenir. Il saura mettre en valeur le chemin parcouru tout en veillant à garder la mobilisation sur le reste à faire.
Le Chef de Projet pour finir
Quand le projet est lancé depuis plusieurs mois voire année, j’ai remarqué une certaine difficulté à terminer avec plusieurs cas de figures aux symptômes différents :
- Le projet « qui tourne en rond » avec un budget annuel récurrent, des équipes installées, des comités qui ronronnent. De belles réussites ont été enregistrées mais on ne voit pas vraiment la suite.
- Le projet « seul au monde » qui a tout livré mais sans avoir rien déployé.
- Le projet « toujours plus » qui demande toujours un peu plus dans l’exigence technique ou fonctionnelle.
- Le projet « c’est fini demain » qui annonce une fin dans un délai court…à chaque comité de pilotage.
Bref, c’est le moment pour les dirigeants de siffler la fin de la partie et d’organiser l’entrée en scène du dernier profil de Chef de Projet.
Dans ce contexte, le (la) Chef de Projet va poser le diagnostic pour établir le plan d’action très opérationnel nécessaire pour déployer le projet auprès des utilisateurs qui bénéficient des livrables matériels et/ou immatériels. Il (elle) va également faire pivoter les ressources du projet sur des profils plus aptes à l’accompagnement du changement des utilisateurs.
Les qualités principales de ce Chef de Projet est d’être très pragmatique, d’avoir une empathie opérationnelle avec les Métiers. Il (elle) doit traiter toutes les réticences liées au changement dans les habitudes et ce à tous les niveaux de la hiérarchie. Il (elle) doit discerner l’essentiel à l’accessoire. Il (elle) doit trouver des relais de confiance chez les acteurs au cœur même des processus de l’entreprise (et pas uniquement chez les décideurs). Son bon sens pratique combiné à une énergique gestion des ressources humaines permettent de donner ce dernier coup de collier pour que le projet passe la ligne d’arrivée.
En synthèse…
Contrairement à la fable des 3 petits cochons, le tableau ci-dessous, qui donne ma vision, illustre qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les 3 profils et qu’ils sont tous indispensables.

J’ai bien sûr rencontré des personnes qui assuraient les trois rôles – c’est d’ailleurs en général le cas sur les petits projets. En revanche, c’est beaucoup plus rare lorsque nous avons la combinaison : forte innovation, plusieurs années de fabrication et des enjeux économiques/politiques forts.
Chacun peut retrouver sa zone de confort dans l’un ou l’autre profil. Personnellement, j’ai été amené à jouer les 3 rôles sur des projets différents et j’avoue avoir trouvé de l’intérêt sur chacun 🙂
Au-delà de la compétence technique, les soft skills (ou compétences personnelles et émotionnelles) jouent un rôle déterminant dans l’appétence personnelle pour tel ou tel rôle.
Pour terminer, dans un contexte où l’heure est aux méthodes agiles, aux itérations les plus courtes possibles et aux plateaux pluridisciplinaires, il est naturel de penser que ce nouveau paradigme efface la séquence pré étude – fabrication – déploiement. Or je constate que c’est souvent un rhabillage où les premières itérations sur quelques semaines sortent un prototype pour aider à prendre la décision d’aller plus loin (= pré étude), les itérations suivantes sur quelques mois voire années sortent un produit minimum viable qui s’enrichit et se déploie sur un ensemble restreint d’utilisateurs (= fabrication) et enfin les dernières itérations servent à terminer le produit et à le déployer sur l’ensemble des utilisateurs (= déploiement). Le modèle des 3 Chefs de Projets reste pour moi d’actualité.
Et vous quel Chef de Projet êtes-vous ?
Mentions
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Crédit photo : AdequaJob
© Ecrit et publié sur linkedin par Jean Méance en juillet 2017 – version publiée sur WordPress en août 2019