16 mars 1977. La France se lève comme un seul homme. Saint-Etienne égalise à Liverpool. L’image de Dominique Bathenay, beau comme un dieu, les bras levé vers l’éternité, son maillot vert aux aisselles auréolées de sueur, sera l’icône qui guérira la blessure consécutive à la finale malheureuse de 76 et ses poteaux carrés. Toute la France est stéphanoise et rêve déjà de cette fameuse coupe d’Europe jusqu’à ce qu’un grand escogriffe au visage rubicond s’en aille jouer le fossoyeur des espoirs de tout un pays. David Fairclough est surnommé le ‘Super Sub’ car il marque des buts à chacune de ses entrées en cours de match. C’est un tournant dans la gestion des remplaçants. Liverpool démontre que la gestion d’une équipe ne s’arrête pas aux titulaires mais bien à construire et gérer un groupe de joueurs aux qualités diverses où titulaires et remplaçants apportent, tous, un impact positif au bénéfice de l’effort produit par le groupe pour atteindre son objectif.
Dans le football, les exemples de finales gagnées grâce à des remplaçants sont légions – encore dernièrement le Real de Madrid avec Gareth Bale. Dans le rugby moderne, le coaching et la gestion des remplacements est devenu un élément tactique déterminant dans la stratégie du match. Au basket, le cinq majeur ne joue pas toute la partie. Au handball, il y a une équipe spécialisée pour attaquer et une autre pour défendre. On pourrait continuer comme cela sur pratiquement tous les sports collectifs.
En ce mois de juin 2018 de coupe du monde de football où chaque pays dresse la liste des 23 joueurs participants, me revient un propos de Michel Platini qui disait (de mémoire) « dans une compétition de plusieurs semaines, ce sont les remplaçants qui font la différence pour décrocher le titre ».
Et si on pensait aux remplaçants ?
Alors pourquoi en entreprise où il est souvent question d’équipes, où les valeurs collectives sont mises en avant, oui pourquoi ne parle-t-on jamais des remplaçants ? Pourtant turn-over ou départs naturels, usure des équipes sur la durée de certains projets, usure naturelle sur les activités quotidiennes et même les transformations sont autant de déclencheurs qui imposent de faire appel aux remplaçants.
Pourquoi le concept même de « remplaçant » n’existe pas en entreprise …
Il faut probablement chercher la première raison dans la nature de la relation que chacun de nous entretien avec son emploi. Un emploi c’est un travail et un travail c’est être utile et productif pour l’entreprise. Personne ne cherche un emploi de remplaçant qui serait, par définition, reconnaitre ne pas être immédiatement utile et s’accommoder d’une image voire d’un statut sociétal « de seconde main ». La seconde raison est plus économique. L’optimisation financière permanente des entreprises, où la masse salariale est souvent dans le top 3 de leurs charges, n’encourage pas à mettre des ressources en réserve car évidemment cela génère un surcoût. La troisième raison est dans la formation et la culture des managers. La gestion des équipes est appréhendée en assumant que chaque collaborateur a un poste ou une mission avec des tâches et des objectifs identifiés. Ce paradigme des postes est d’ailleurs un référent voire un symbole incontournable dans les négociations avec les partenaires sociaux.
…alors que le recours aux remplaçants est structurel ?
Pourtant l’entreprise fait un appel et un usage incessant de remplaçants. Prenons quelques exemples concrets pour illustrer le propos. Commençons par les projets. J’avais expliqué dans un article précédent la formule : « Pour conduire un projet, il faut souvent un Chef de Projet pour le commencer, un autre pour le faire et un dernier pour le finir » en décrivant la palette de compétences nécessaires au cours des différentes phases d’un projet. C’est un fait observé sur les programmes longs et ambitieux. Les entreprises ne le reconnaissent pas avec pour conséquence des remplacements de Chefs de Projet qui s’effectuent souvent dans la douleur car le titulaire en place le vit comme un échec.
Autre cas d’utilisation de remplaçants par les entreprises : les turn-over. J’ai observé que même les départs naturels, tels que les départs en retraite de collaborateurs, étaient parfois traités dans l’urgence pour la reprise des activités. Alors que dire des départs soudains pour démission surtout quand le préavis est court…
Il existe bien d’autres situations où les entreprises ont besoin de remplaçants comme dans les situations de grandes transformations comme les fusions/acquisitions sur lesquelles j’ai écrit un petit guide de survie ou aujourd’hui les changements liés au digital. L’organisation des entreprises est en perpétuel évolution et nul ne peut prétendre y avoir un rôle et une place à durée illimitée.
Qui sont les remplaçants ?
Du coup, si les entreprises font usage de remplaçants, il est utile de tenter de les identifier au-delà des traditionnelles personnes en back-up ou en situation d’adjoint.
Sans le savoir eux-mêmes, les profils internes suivants sont des bons candidats pour remplacer un acteur dans l’entreprise. Les mavericks (voir mon article sur la gestion de ces experts très indépendants) seront très adaptés à une situation où le remplaçant doit agir vite et bien mais dans un délai qui restera court. Très utile en situation de crise. Nous sommes dans le cadre d’un remplacement temporaire. Les collaborateurs en mission « en attendant mieux » qui ne sont pas en poste pour des raisons de sureffectif mais dont l’employabilité reste forte. L’enjeu sera d’entretenir leur mobilisation pour éviter le sentiment d’être « placardisé » très corrosif sur la motivation pour venir aider. Les personnes en mobilité, à travers leur démarche, expriment souvent l’envie de changement qui est un bon engrais pour se projeter dans un nouveau poste.
Le vivier des remplaçants ne se limite pas aux ressources humaines internes de l’entreprise. Les sociétés d’Intérim, les sociétés de service et de conseil sont des remplaçants structurels, certes temporaires. C’est l’essence même de leur activité. Elles apportent des ressources, des compétences et des savoirs faires qui manquent à l’entreprise. Les étudiants qu’ils viennent pour un job d’été ou pour un stage sont souvent en situation de remplacement de salariés en place. Le marché du travail avec les recrutements externes, enfin, est également un gisement de ressources pour trouver des remplaçants.
Portrait-robot du remplaçant
A lire l’actualité sportive, il est patent de constater qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être un bon remplaçant. La récente lettre ouverte d’Adrien Rabiot au sélectionneur de l’équipe de France de Football est l’illustration d’un mauvais état d’esprit qui consolide d’ailleurs la position de ne pas intégrer ce joueur dans un groupe qui va vivre plusieurs semaines ensemble.
Les qualités incontournables pour être un bon remplaçant sont l’altruisme car l’entreprise, l’équipe, le projet passent avant son cas personnel ; l’empathie car il est indispensable de s’intéresser aux autres et de comprendre ce qu’ils font et comment ils le font pour être en mesure de prendre leur place ; l’intelligence de situation pour être opérationnel et choisir rapidement les bonnes options pour apporter des résultats dès son « entrée en jeu » ; l’abnégation pour continuer à s’occuper, à s’entretenir pour garder son niveau pour être opérationnel.
Vers une véritable politique de gestion des remplaçants
Certaines entreprises ont une politique des remplaçants quand elles mettent en place l’obligation de changer de poste tous les 5 ans par exemple. Elles créent les conditions d’un turn-over volontaire où l’idée de remplacer et de se faire remplacer s’inscrit dans l’ADN de l’entreprise.
Les conditions de réussite d’une politique de gestion des remplaçants sont pour les collaborateurs en poste de placer au cœur de leur préoccupation la transmission de leur savoir et savoir-faire ce qui implique transparence dans l’exercice de leur fonction ; pour les collaborateurs en situation de remplaçant, l’entreprise doit les intéresser et les impliquer pour les embarquer avant même d’être appelés sur le terrain avec même, pourquoi pas, des « incentives » qui rend la situation de remplaçant attrayante.
Cette politique interne pourra être complétée par des partenariats externe avec les sous-traitants, les écoles, les start-ups et des actions de communication sur la stratégie de l’entreprise, ses projets, ses fonctions et ses métiers. Beaucoup d’entreprise le font mais pas forcément avec l’idée de construire un vivier de remplaçants.
En conclusion
A l’instar des grandes équipes de sport collectif, les entreprises (y compris les start-ups) doivent s’interroger sur leur politique pour la gestion des remplaçants. Ce sera une garantie que la marque gagnera contre l’égo et on sait, comme pour Liverpool, que les grands clubs comme les grandes entreprises ne meurent (presque) jamais.
© Ecrit par Jean Méance en Juin 2018
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