Alors que l’acte IV de l’action des gilets jaunes se prépare. Alors que le débat s’organise à l’assemblée après plus de 3 semaines de conflit. Alors que tout ce que la France compte de chroniqueurs, journalistes, économistes, sociologues, psychologues, intellectuels… passe en revue les plateaux des radios et des télévisions. Alors que des émissions spéciales sur le conflit se montent à la hâte. Que reste-t-il à dire sur un mouvement social qui dépasse celui des bonnets rouges, de la loi sur l’école publique ou du mariage pour tous ? Probablement tout et rien.
Rien car si parmi les 67 millions de français quelqu’un avait la solution, la couleur jaune n’aurait pas fleuri subitement au quatre coins de la France presque un trimestre avant l’arrivée des jonquilles. Rien si la fatalité s’installe, si les systèmes en place et les modèles de pensée n’apportent plus de réponses satisfaisantes.
Tout car nous sommes probablement devant une nouvelle page blanche à écrire. Les vieux réflexes ne fonctionnent plus. L’économie a changé en devenant mondialisée et interdépendante. La démocratie vacille avec les nouveaux centres de pouvoirs que deviennent les réseaux sociaux. Les partis politiques restent pyramidaux dans leur organisation à l’heure où les entreprises passent dans des modèles libérés. La transformation numérique génère une société paradoxale avec des personnes en campagne isolée et connectée, des individus partout vivant en solitude et branchés à des centaines « d’amis ».
Mais revenons au cœur du conflit actuel – pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi a-t-il fallu tout ce temps au gouvernement pour changer de posture ? Pourquoi en est-on passé par des images de violence stupéfiantes montrant Paris en flamme à une planète probablement étonnée que la douceur de vivre à la française soit autant chahutée ?
Parmi les explications que j’entends, je partage celles qui mettent à l’index le manque de pédagogie, le manque d’écoute, le manque d’accompagnement dans le changement, la précipitation dans l’action, la stratégie du pourrissement, la diabolisation du mouvement etc…
Cependant, j’observe aussi autre chose dans cette situation qui nous implique tous : la lutte entre la raison et le sentiment. La raison se construit sur les faits et la logique quand le sentiment s’appuie sur les rêves, l’affectif et l’intuitif. Voici quelques exemples pour illustrer mon propos :
- La raison du gouvernement est persuadée de sa légitimité obtenue par le processus démocratique quand le sentiment des gilets jaunes parle de gouvernement des riches.
- La raison du gouvernement parle de l’urgence écologique quand le sentiment des gilets jaunes est de porter, seul, l’effort pour supporter la transition énergétique au prix de sacrifices personnels insupportables.
- La raison du gouvernement est de ne pas vouloir céder, convaincu de la nécessité de son cap et de la valeur de son projet quand le sentiment des gilets jaunes est de ne pas être écouté et de devoir passer à l’action violente pour se faire entendre.
- La raison du gouvernement de suspendre les mesures sur les taxes pour ouvrir les discussions quand le sentiment des gilets jaunes dénonce une manœuvre pour gagner du temps sans rien changer du fond.
Bien sûr l’observation peut aussi s’effectuer en échangeant les rôles, comme sur l’exemple suivant :
- La raison des gilets jaunes souligne la perte de pouvoir d’achat avec l’augmentation de la taxe sur l’essence quand le gouvernement a le sentiment de développer une politique favorable au pouvoir d’achat avec sa mesure de réduction des charges sur les salaires ou de la taxe d’habitation.
Quelles conclusions ai-je tiré de ces observations ? Le projet de la République en Marche, incarné par le Président Emmanuel Macron, souffre du non respect de deux règles fondamentales pour réussir un projet : avoir un bon sponsor et une bonne communication. En démocratie justement le sponsor c’est le peuple qui paie et là il a décidé de faire défaut. Quant à la communication opposer raison et sentiment a été contre-productif et délétère. Tout projet pour réussir doit avoir une part de rêve sinon il devient un projet technocratique qui n’embarque qu’une part réduite d’acteurs. Les autres n’ont aucun enthousiasme quand l’heure du déploiement et de l’accompagnement du changement a sonné.
Personne ne sait prédire qu’elle sera l’issue des événements que nous vivons aujourd’hui. Je suis pour ma part un éternel optimiste et espère que les premières concessions et l’ouverture d’une consultation seront de nature à revenir au calme. J’ai aussi en mémoire les paroles que TRUST chantait en 1979 « La gauche qui virevolte, la droite qui s’enrhume / J’écoute et dans mes poches j’ai toujours pas une tune ». Ce refrain pourrait être remis au goût du jour par les gilets jaunes. Le mécontentement ou le mal-être des populations n’est pas un phénomène nouveau. Il est de la responsabilité des gouvernements de bien l’identifier, d’en mesurer l’importance et d’y apporter les réponses de raison et de sentiment qui sont les deux mamelles de la politique. Si les partis politiques en place le savent très certainement, les gilets jaunes vont devoir l’apprendre dans les semaines qui viennent.
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Crédit photo : photo du film Raison et sentiment de Ang Lee sur fond de gilet jaune
© Ecrit par Jean Méance en décembre 2018