La période de grâce de notre Président Emmanuel Macron est définitivement terminée. La semaine de la douche écossaise entre la victoire de l’équipe de France de football en coupe du monde et l’affaire Benalla a été l’épilogue d’une première année de législature pourtant très active et réformiste.
La rentrée s’annonçait difficile pour le gouvernement. C’est confirmé. Le caillou « Benalla » va probablement reprendre une place inconfortable dans la chaussure des Marcheurs. Nicolas Hulot claque la porte (en tout cas je le vois comme ça) et maintenant la question du prélèvement à la source prévu pour janvier 2019.
Je m’arrête sur cette question car elle illustre parfaitement le doute que toute personne, impliquée dans un grand programme, connait quand il s’agit d’appuyer sur le bouton. Le moment du Go/No Go est décisif. Il peut faire capoter tout projet et engloutir des années d’effort et des millions d’euros s’il est mal géré. Le Go/No Go est le moment où toutes les forces paradoxales s’exercent poussées par la peur du changement des uns, l’enthousiasme convaincu des autres. L’économique, la technique et l’humain font une danse « désaccordée ». Les trajectoires des acteurs se croisent pour certain la fin du projet est une fin de phase quand pour d’autres c’est le début. Bref, ce moment est clé et ça devient l’angoisse du tireur de pénalty devant le but.
Dans le cas du projet de démarrage du prélèvement à la source des impôts sur le revenu, j’observe d’abord la méthode de communication pour poser le contexte émotionnel. Quelques allusions dans la presse en plein mois d’août, mois de l’indolence intellectuelle des peuples qui s’accordent un moment de repos et de répit avec les affaires du monde. Puis quelques messages de représentants du pouvoir et enfin le Président lui-même qui reconnaît qu’il existe un sujet à trancher concernant ce démarrage.
Jusqu’ici rien à redire mais ensuite les choses s’accélèrent avec des éléments de langage pas très aiguisés. Benjamin Griveaux ne pose plus l’alternative du Go/No Go mais parle de report ou d’abandon. Abandon !!! C’est juste l’évocation du scénario où il faudrait tout jeter à la poubelle. Les entreprises qui se sont adaptées vont apprécier. Gérald Darmanin, qui ne veut pas porter la responsabilité d’un accident industriel, dit de son côté que tout est prêt techniquement mais que les français ne sont peut-être pas prêt psychologiquement. Psychologiquement !! Cela veut-il dire que le préposé (inconnu) à la conduite du changement n’a pas fait son job ?!? Bizarre quand on sait que la campagne de communication n’a pas encore réellement commencé. Yves Le Drian, qui n’est pas le ministre tombé de la dernière pluie (Bon c’est vrai qu’elle date en cet été caniculaire mais là je m’égare), Yves Le Drian, meurtri par les errances du projet Louvois, parle de tests à faire et surtout que ce n’est pas un projet du programme électoral d’Emmanuel Macron !! Test à faire ? C’est vrai que si ce n’est pas réalisé faut y penser ! Quant à l’héritage il était connu et c’est très réchauffé comme argument. Enfin, pour finir le week-end en beauté, la diffusion des éléments d’un rapport secret (devenu secret de polichinelle) qui font état d’un nombre astronomique d’erreurs à corriger (j’en déduis que les tests sont faits alors ?!?). Ceux qui ont connu des projets comme l’Euro, l’An 2000 ou des grandes migrations de systèmes savent que les démarrages ne sont pas « free bug » et que rechercher la perfection est la meilleure façon de…procrastiner son démarrage.
Sur le fond du projet de prélèvement à la source, pour connaitre les deux modes de prélèvement après avoir travaillé au Luxembourg, je peux affirmer qu’en vitesse de croisière ça ne change pas gran’chose pour un salarié. Le rapport avec l’administration fiscale change puisqu’on vous prélève si je puis dire « plein pot » et ensuite vous déclarez vos remises éligibles à réduction ou crédit d’impôt. Par contre, la période de transition peut être délicate. Je me rappelle d’ailleurs la première année où j’ai eu à acquitter deux années d’imposition avec en contrepartie une année blanche à mon retour en France. Il est clair que de prélever les impôts de l’année N en année N+1 est une sorte d’avance de trésorerie pour ceux dont les revenus progressent puisque vous payez avec un revenu plus important les impôts précédents. Les personnes, notamment les salariés, dont les revenus augmentent, seront temporairement « lésés » par le prélèvement à la source en comparaison au système actuel. Le raisonnement est un peu le même pour les contribuables qui bénéficient de réduction d’impôt ou de crédit d’impôt suite à de l’optimisation fiscale. Ces personnes sont aussi des électeurs ou électrices qui entrent dans la balance de la décision.
Le prélèvement à la source est un bon projet. Il harmonise les méthodes entre pays. Il simplifie la question de l’impôt pour ceux qui en paient (fini la découverte du solde à payer sur l’avis qui vous attend à votre retour de vacances dans votre boîte aux lettres). Et il sécurise les rentrées fiscales pour l’état. En revanche comme toute réforme il y a des gagnants et des perdants et donc un risque de grogne sociale.
Emmanuel Macron a rendez-vous ce mardi pour trancher. Les spécialistes de la gestion de grand programme observeront avec intérêt ce bel exercice de Go/No du Président. Je m’avance peut-être mais je pense que la synthèse le laissera bien seul pour décider. Nul doute que tous les éléments, les enjeux, les rapports de force seront exposés mais au fond, à moins d’un méga-problème inconnu du grand public, j’anticipe que le Président devra faire appel à sa conviction intime.
Un grand programme c’est de la méthode, des idées bonnes et mauvaises, de l’organisation, des armées de personnes à coordonner, des comités à tous les étages, des investissements matériels, logiciels, humains, de la communication, de l’effort, de la rigueur, du jeu collectif mais aussi des exploits individuels, de l’énergie, de l’enthousiasme, des joies, des peines…mais à la fin celui ou ceux qui décide(nt) du grand saut doivent faire preuve, certes de discernement, mais surtout de courage !
Alors bon courage Mr le Président…
© Ecrit par Jean Méance en septembre 2018
PS : cet article a échappé au titre « Prélèvement à la source : procrastination ou élection ?