« La progression du COVID est exponentielle », « Nous sommes au pied d’un mur », « Les chiffres baissent ou se stabilisent », « Nous sommes sur un plateau »… Mesdames, messieurs, les jeux sont faits ! Rien ne va plus !
Rien ne va plus en effet pour nous pauvres observateurs mais aussi acteurs. Le débat actuel, sur les courbes et l’évolution de l’épidémie, entre spécialistes faut-il le préciser, nous laisse perplexe, indécis et finalement un peu groggy.
Ce débat a pourtant un intérêt énorme : il illustre parfaitement que le secret d’un bon pilotage n’est pas seulement dans la production de données constatées ou de prévisions mais dans la définition d’une trajectoire. Je m’explique.
Quand vous organisez un voyage, vous pouvez (cochez les cases inutiles) :
- Partir à l’aventure en vous dirigeant grâce aux panneaux de signalisation et à votre sens de l’orientation et votre connaissance éventuelle du terrain si vous êtes déjà passés par là.
- Suivre votre GPS en suivant « aveuglément » (ouvrez l’œil quand même quand vous bougez) les indications à droite, à gauche, tout droit.
- Préparer votre trajet en choisissant votre itinéraire pour avoir une vue d’ensemble de votre voyage, en reconnaissant les moments clés comme les grandes villes à traverser ; et ensuite vous appuyer sur votre GPS en gardant en tête les grandes étapes pour vérifier que tout va bien.
Si vous gardez la case 1, vous êtes un-e aventurier-e et vous pilotez à vue et à l’instinct selon la situation ; pour la case 2, vous faites confiance à la technologie et vous pilotez sans recul sur la base des indications qui vous sont données avec le risque d’être un peu perdu si la situation n’est pas nominale ; avec la case 3, vous anticipez en vous faisant assister par la technologie, vous pilotez en utilisant les indications mais la préparation et la vue globale vous permette de réagir vite et sans stress en cas d’incident de parcours (bouchons par exemple) ou d’incohérence entre le GPS et la vraie vie (route barrée).
Dans le cas du COVID, il est clair qu’au début, face au comportement d’un virus inconnu, difficile de piloter autrement qu’à vue. Après les deux mois de confinement, nous disposons de chiffres relevés sur les entrées/sorties en réanimation, les nombres de cas positifs, le nombre de morts… Bref, le terrain est mieux quadrillé et les modèles de prévisions ont été mis à jour. Alors pourquoi, aujourd’hui, armés d’une meilleure connaissance, sommes-nous dans de tels débats ?
Mon explication est assez simple. Nous avons gardé la case 2 et nous (enfin ceux qui ont le mérite d’être au volant) pilotons en faisant une confiance « aveugle » aux chiffres relevés et aux prévisions des grands instituts spécialisés. Et c’est bien le problème. Personne ne s’est engagé sur une trajectoire. Je n’ai jamais vu par exemple un schéma simple avec deux courbes : l’une, serait par exemple, l’évolution des nouvelles entrées de cas COVID aux urgences telle qu’on souhaite la piloter (courbe qui devrait exister depuis le déconfinement) et la seconde courbe serait les nouvelles entrées réellement enregistrées quotidiennement). La première courbe, la trajectoire, joue le rôle de l’itinéraire choisi et la seconde du voyage réel. La comparaison, sur le même graphique de ces deux courbes, permettrait de vérifier que les prévisions (l’itinéraire) sont suivies et bonnes ou de réagir en cas d’écart important entre les deux courbes. Cette réconciliation entre la prévision et le réalisé est la clé d’un pilotage efficace, celui de la case 3 !
Les freins psychologiques nuisent à la définition d’une trajectoire. Définir une trajectoire est engageant ! Elle suppose des hypothèses qui, par nature, sont incertaines ! Elle peut traduire aussi une politique audacieuse ou repliée, un esprit volontaire ou timide, une vision optimiste ou pessimiste. Toute trajectoire est sensible voire fragile face à l’imprévu. L’affichage d’un écart trop important entre la trajectoire prévue et le réel peut être l’aveu d’une mauvaise perception, anticipation, vision…bref indirectement un aveu d’incompétence. Tout ce que tout à chacun déteste. Dans le cas du COVID, nous restons donc dans une grande confusion et finalement, malgré les efforts de communication en chiffres, le pilotage de l’épidémie donne l’impression d’un manque, au moins de clarté, pour ne pas dire de transparence.
Définir une trajectoire est une discipline complexe. Une fois passés les freins « psychologiques » précédents, définir une trajectoire est un exercice qui peut être difficile. Une trajectoire c’est deux éléments : un objectif et un chemin. Par exemple, une entreprise qui souhaite doubler son chiffre d’affaire en 3 ans (c’est l’objectif), prendra-t-elle un chemin linéaire ou exponentiel (pour rester dans les termes à la mode du COVID). L’exercice est difficile dans le choix des données à piloter (le nombre clients, le chiffre d’affaire, le résultat), de la trajectoire (y = ax ou y =e(x) ?), des courbes à suivre (où et à quelle périodicité prendre les données) et dans l’anticipation des actions à prendre si tout ne se passe pas de façon nominale (que faire si le delta entre réalisé et prévision > 20 % ou < 20 % ? ).
Une trajectoire n’est jamais gravée dans le marbre. A l’impossible, nul n’est tenu. Piloter en montrant sa vision, traduite dans une trajectoire, et en la comparant à la vraie vie, est un exercice de transparence, de conviction et…d’humilité. Il est bien évident que si les faits sont têtus et rendent caduques votre vision et votre trajectoire, il faut la revoir. Dans l’exemple de notre voyage, passer par Bordeaux pour aller de Marseille depuis Strasbourg est peut-être une erreur mais pas encore une faute si rien n’oblige à passer en Aquitaine et qu’il est encore temps de rectifier la course. Ne pas hésiter, toujours en transparence, sans précipitation, à revoir sa trajectoire, est un acte de responsabilité. Evidemment, après plusieurs itérations qui modifient la trajectoire se posera peut-être la question de la compétence du pilote mais c’est un risque à prendre.
Décidément ce COVID est source d’inspiration ! Aujourd’hui il me permet de rappeler, à l’heure de l’or noir de la Data, qu’après la question du sens de la donnée, le pilotage est l’art de prendre des décisions dans la vie réelle et qu’un bon pilotage passe certes par un cockpit de données mais surtout par une trajectoire à suivre qui fera prendre le bon chemin (qui n’est pas forcément celui que vous imaginiez au début) pour atteindre l’objectif.
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Crédit photo : extraits des journaux : Le parisien – La dépèche – Le monde
© Ecrit par Jean Méance en octobre 2020