La Marmelade D’Enjeux et D’Objectifs

Publié par

Vendre un projet n’a jamais été une chose facile ; surtout à des décideurs qui tiennent le porte-monnaie. Une bonne pratique est d’introduire son projet avec le triptyque : Contexte – Enjeux – Objectifs. Si le contexte est en général bien traité car il « suffit » en général d’observer la situation et d’en rendre compte, j’ai constaté qu’enjeux et objectifs formaient souvent une belle marmelade qui pouvait conduire le projet à la…déconfiture !

Prenons l’exemple d’un projet dont l’enjeu est l’automatisation d’un processus avec un gain de productivité chiffré et un objectif de démarrage en décembre 2020 ou bien un autre dont l’enjeu est la transformation digitale de l’entreprise avec l’objectif de digitaliser 50 % des processus dans les 18 mois. Ces exemples permettent-ils de discerner enjeux et objectifs ? Apparemment oui mais à y regarder de plus près, il est légitime de se poser la question de l’intérêt de ces fameux gains de productivité ou de propulser l’entreprise dans l’ère du digital. Comme le dit l’expression « l’enjeu en vaut-il la chandelle ? »

Cas simples pour comprendre la différence entre l’enjeu et l’objectif

Prenons le cas d’un sportif pratiquant la compétition. Tous les weekends il se rend au stade pour atteindre un objectif, je dirais même le seul objectif, gagner son match. Là on est clair. En revanche, l’enjeu peut être très différent entre jouer pour gagner un match amical et jouer pour gagner la finale d’un tournoi.

Autre cas, celui du joueur qui mise sur un numéro à la roulette. L’objectif est bien sûr que la boule s’arrête sur ce numéro quand l’enjeu dépend justement de la somme d’argent mise en jeu. Nul besoin de fréquenter assidûment les casinos pour comprendre la différence du ressenti entre perdre 10 € ou en perdre 1000.

« Tout cela me parait trivial » me diriez-vous « et ne mérite pas qu’on s’y attarde et encore moins un billet sur la question ». Eh bien je pense au contraire que la confusion entre enjeux et objectifs, que je constate régulièrement, est passionnante car elle pousse à s’interroger sur le sens de l’action individuelle ou collective, en entreprise ou dans son quotidien.

Enjeu et objectif – deux mots différents qui se rapprochent

Partons des définitions les plus adéquates, avec le présent propos, des termes enjeu et objectif – extraites de Google :

  • Enjeu : « Ce que l’on peut gagner ou perdre, dans une compétition, une entreprise. »
  • Objectif : « But précis que se propose l’action »

Ça parait clair que si l’objectif décrit ce que l’on doit faire, l’enjeu précise pourquoi on doit le faire. Du coup pourquoi les termes « enjeu » et « objectif » tendent-ils à se confondre ? Tant que nous sommes sur des problèmes simples comme les jeux de hasard, les deux ingrédients de notre marmelade sont très distincts et ne se mélangent pas. Mais comme nous allons le voir après dès qu’il s’agit de parler de projets plus complexes, la marmite va chauffer et enjeu et objectif vont commencer par l’effet de la chaleur à se mêler l’un l’autre.

Quand l’enjeu financier n’est plus suffisant

Dans la droite ligne de sa définition d’origine où l’enjeu désigne la somme d’argent que l’on mise, la première idée pour défendre un projet est de présenter les enjeux financiers qui traduisent en Euros des gains potentiels grâce à la mise en marché d’un nouveau produit, des risques de pertes pour non-conformité par exemple (cas des 4 % du Chiffre d’affaire sur le RGPD) ou des économies de fonctionnement estimées suite à l’automatisation de services. Là est la première déformation de la définition d’origine du terme « enjeu ». En effet, le joueur assis à une table de black jack qui a posé pour 20 € de jetons est dans le concret et verra ses jetons disparaître ou augmenter. En revanche, les gains, les pertes, les économies sont des paris eux-mêmes. Le seul chiffre certain est la dépense pour atteindre l’objectif – et souvent elle augmente en cours de projet – ensuite les gains seront au rendez-vous si le produit trouve ses clients et son marché, les risques de pertes seront avérés en cas de contrôle qui se termine bien (sinon c’est la double peine : le coût du projet et l’amende) quant aux économies de fonctionnement elles seront réelles si les mesures d’organisation et d’accompagnement ont été correctement déroulées (ce qui n’est pas toujours le cas). L’enjeu financier, souvent hypothétique, n’est plus suffisant convaincre d’où l’apparition d’autres natures d’enjeux non financiers.

Un enjeu peut en cacher un autre

L’enjeu ne pouvant plus être que financier, il est intéressant de s’interroger sur les autres enjeux. Se mettre dans la peau d’un enfant de 5 ans, qui vous pousse dans vos derniers retranchements avec sa série de « Et pourquoi ? Et pourquoi ? », est probablement une bonne idée pour débusquer les enjeux cachés.

Reprenons le lancement d’un nouveau produit et appliquons nos pourquoi :

  • Pourquoi créer un nouveau produit ? Pour augmenter les gains.
  • Pourquoi augmenter les gains ? Pour améliorer le résultat de notre entreprise.
  • Pourquoi augmenter le résultat de notre entreprise ? Pour distribuer un meilleur dividende.
  • Pourquoi distribuer un meilleur dividende ? Pour fidéliser nos investisseurs
  • Etc…

Mais attention la méthode peut aussi donner un autre résultat :

  • Pourquoi créer un nouveau produit ? Pour augmenter nos gains.
  • Pourquoi augmenter nos gains ? Pour retrouver une capacité d’investissement
  • Pourquoi retrouver une capacité d’investissement ? Pour rajeunir la gamme de produit
  • Pourquoi rajeunir la gamme de produit ? Pour remettre l’offre en phase avec le marché et la concurrence
  • Etc…

Nous sommes partis du même postulat « créer un nouveau produit pour augmenter les gains de l’entreprise » mais dans le premier cas l’enjeu final caché est de fidéliser les investisseurs quand dans le second cas il est question de la survie de l’entreprise sur son marché.

Au passage, la marmite chauffe car certaines réponses sont aussi des objectifs comme l’amélioration du résultat ou de rajeunir la gamme de produit…

Quand un objectif devient un enjeu et vice-versa

Je vous avais prévenu, la marmelade se prépare et nos ingrédients commencent à se fusionner… Nous arrivons au moment où nous allons observer la transformation d’un enjeu en objectif et vice-versa. Prenons le club de football du PSG (ceux qui me suivent ne seront pas étonnés que je puise de nouveau dans le vivier inépuisable des métaphores footballistiques). Le PSG veut gagner la Ligue des Champions – le graal de tout club de football européen. Alors est-ce un enjeu ou un objectif ? Sortez une feuille vous avez 2 heures…

2 heures plus tard (ou 2 secondes c’est selon) – voilà ma lecture de la question.

Je commence par l’objectif qui se transforme en enjeu. Gagner la ligue des champions est clairement un objectif, c’est lisible, il faut se classer dans les 2 premiers dans la phase de poule puis battre toutes les autres équipes rencontrées dans la phase d’élimination. Ce qui veut dire qu’à chaque match éliminatoire, la question de Gagner la ligue des champions est remise en jeu donc l’objectif devient un enjeu (CQFD).

Vous ayant plongé dans un océan de perplexité, je continue par l’enjeu qui se transforme en objectif. Ne parlons plus de match éliminatoire mais de la finale. L’enjeu du match est bien de Gagner la ligue de champion et d’aller danser sur une estrade placée sur la pelouse en étant arrosé de champagne et de papiers dorés. C’est le dernier match où tout se joue. Mais pour l’équipe qui gagne que se passe-t-il ? La méthode du « et pourquoi ? » va nous aider :

  • Pourquoi gagner la ligue des champions ? Pour devenir un club phare en Europe et dans le monde
  • Pourquoi devenir un club phare ? Pour attirer les plus grands joueurs
  • Pourquoi attirer les plus grands joueurs ? Pour vendre plus de maillots et attirer les sponsors
  • Etc…

La marmelade d’enjeu et d’objectif devient un bel amalgame entre ce qui doit être fait, pourquoi on le fait… Bref ce qui était évident au début l’est beaucoup moins maintenant même si dans notre exemple « gagner la coupe d’Europe » est le pivot de la stratégie du club à la fois un enjeu et un objectif.

Des enjeux et des objectifs d’une nouvelle espèce

On a vu que les enjeux financiers n’étaient plus suffisants et que les enjeux pouvaient s’imbriquer tels des poupées russes qui sont découvertes avec la méthode du « Et pourquoi ? » et même que les objectifs pouvaient se transformer en enjeu et vice-versa. Il serait prudent de s’arrêter là dans la complexité et pourtant il faut mentionner que dans un monde complexe et globalisé qui apporte en continue son lot de nouveaux paradigmes : l’écologie, l’Intelligence Artificiel, l’économie collaborative, etc…, l’expression des enjeux et des objectifs prendra des formes nouvelles qui impressionneront puis décevront avant d’atteindre leur maturité. J’ai en tête deux exemples : l’enjeu de la Data et celui du Digital qui a mon avis ne sont pas assez challengés par la méthode du « Et pourquoi ? » pour éviter les phénomènes de mode qui poussent les sociétés vers des transformations qui ne sont pas toujours complètement justifiées.

« Mais cachez cet enjeu que je ne saurais voir »

Difficile d’écrire sur le sujet des enjeux et des objectifs sans parler de ce qui se dit rarement dans les comités mais beaucoup plus souvent devant les machines à café. Je veux parler des enjeux politiques et personnels. La méthode du « Et pourquoi ? » est un excellent révélateur de ces enjeux cachés. Quand finalement on ne comprend plus très bien l’intérêt d’un projet qui est en cours ou même terminé, il ressort souvent que le projet a été décidé pour des raisons politiques (lutte d’influence entre des groupes), pour des raisons personnelles (nécessité d’avoir de la visibilité, nécessité de montrer son savoir-faire et ses compétences, occuper les équipes…). Nous avons tous en tête l’exemple des camions qui tournent dans la cour dans l’objectif de consommer le stock d’essence car l’enjeu est de garder le même budget l’année suivante. Tout ceci n’est pas toujours très glorieux d’où le voile pudique jeté sur ces enjeux et ses objectifs que nous n’explorerons pas plus pour ne pas faire tourner vinaigre notre marmelade…

Enjeux et objectifs contradictoires

Un grand classique en entreprise – comme dans la vie – est de gérer les paradoxes et les contradictions. Enjeux et objectifs sont également soumis à ces vents contraires qui conduisent à gérer des objectifs et des enjeux contradictoires comme investir et faire des économies. Ce cas d’école est délicieux pour notre propos selon que l’entreprise doit faire des économies pour récupérer une capacité d’investissement ou qu’elle ne peut réduire ses coûts sans investir dans son outil de production ou bien, par chance, elle pourra financer ses investissements en même temps qu’elle fera des économies. Selon l’un de ces trois cas, objectifs et enjeux seront plus ou moins fortement contradictoires !! Attention aux enjeux contradictoires trop forts car ils peuvent diviser l’entreprise de façon durable surtout s’ils sont décuplés par des enjeux politiques cachés.

« Enjeux ou objectifs ? Dis-moi de quoi tu parles et je te dirai qui tu es ! »

Parler des objectifs est plutôt l’apanage des opérationnels et des maîtres tacticiens. C’est leur job et leur savoir-faire de mettre en place les solutions techniques et organisationnelles pour atteindre un objectif, parfois coûte que coûte, en oubliant la vision d’ensemble et en particulier les enjeux. Le doute n’est plus permis car le temps est compté et l’heure n’est plus de discuter les options. Nous connaissons tous des projets arrivés à bon port sauf que le port entre-temps a été déserté.

Parler des enjeux est plutôt réservé au comité de direction et au management qui doit démultiplier les enjeux pour donner du sens à l’action, travail difficile car les enjeux changent, évoluent, se cachent parfois et se transforment même en objectif.

Finalement, le bon stratège ou le stratège chanceux sera celui ou celle qui aura identifié l’enjeu le plus important et aura convaincu des objectifs pour l’atteindre et donc des projets à réaliser lors des arbitrages.

Objectifs et enjeux ont un impact fort sur l’engagement des personnes

Tous les sportifs vous le diront : le stress, l’envie de se préparer, l’effort de concentration, le dépassement de soi sont directement liés à l’enjeu. Certains sportifs se révèlent d’ailleurs dans les grandes occasions.  Dans l’entreprise c’est pareil – de grands enjeux enthousiasmants auront une influence positives remarquables sur l’engagement des personnes pour réaliser les objectifs nécessaires. Le sens de l’action donné par l’enjeu est un levier terrible sur la motivation.

La marmelade est prête !

J’espère vous avoir convaincu de l’intérêt de cette réflexion sur les objectifs et les enjeux. Dans un monde qui se complexifie sous l’effet combiné de la globalisation, de l’évolution des sociétés et de la technologie et qui devient de moins en moins lisible, enjeux et objectifs sont les ingrédients de base pour retrouver le sens de son action, les lignes de force de son activité.

Prendre le recul nécessaire pour goûter les différentes subtilités de la marmelade proposée en identifiant les véritables enjeux et les meilleurs objectifs pour y répondre est une source de satisfaction pour mieux comprendre en s’ouvrant aux différentes facettes de l’univers parfois embrouillé qui nous entoure.

N’hésitez pas à réagir à ce billet car la réflexion sur ce sujet est très ouverte.

Mentions 

Si vous voulez accéder à mes autres billets c’est ici

Si vous ne voulez pas manquer les prochains articles : demandez à être enregistré à mon blog

Crédit photo : Femme actuelle – Marmelade de tomates et citrons

© Ecrit par Jean Méance en novembre 2018


Un commentaire

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.